ETAT DES SOLS Le 4 pour 1000, ça fait rêver
Stéphane Le Foll a lancé lors de la Cop21 l'initiative de stockage du carbone « 4 pour mille », préparée en seulement quelques mois. Sur quelles réalités scientifiques repose-t-elle ? Ce chiffre est-il atteignable ?
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C'est la Cop21 qui sera finalement venue au secours de l'Année internationale des sols, laquelle était relativement passée inaperçue jusque-là. En effet, à l'occasion de la grand-messe climatique, le ministre de l'Agriculture a pu officiellement lancé l'initiative mondiale « 4 pour 1000 : les sols pour la sécurité alimentaire et le climat ». Celle-ci repose sur le principe qu'une augmentation annuelle du stock mondial de carbone organique des sols (qui compose à 58 % la matière organique) de 4 pour 1000 par an stockerait autant de carbone que la combustion annuelle de carbone fossile n'en émet. De quoi faire rêver...
Qui soutient l'initiative ?
A ce jour, une quarantaine d'Etats ainsi que de nombreuses organisations internationales, instituts de recherche, ONG et fondations privées soutiennent l'initiative (et ont signé la déclaration d'intention). « Avec cette liste, on cherche à construire un noyau pour que d'autres nous rejoignent », développe Stéphane Le Foll, qui reconnaît que c'est bien le double objectif du programme (climat et sécurité alimentaire) qui a permis de susciter des engagements. Car « en séquestrant le carbone dans les sols, on améliore la fertilité des sols et on a de fortes chances d'augmenter la production agricole », argumente-t-il.
D'où vient ce chiffre ?
Ce concept de 4 pour 1000 a été élaboré par des chercheurs de l'Inra à la fin du XXe siècle. C'est Jérôme Balesdent et Dominique Arrouays, spécialistes des sols, qui ont été les premiers à l'écrire, sur la base du calcul suivant : les sols du monde contiennent de l'ordre de 2 400 milliards de tonnes de carbone (6,7 milliards en France) sous forme de matières organiques alors que les émissions de gaz à effet de serre provenant de l'utilisation de carbone fossile représentent 8,9 milliards de tonnes de carbone par an. A l'échelle globale, ces émissions représentent donc environ 4 pour 1000 du stock de carbone total des sols.
« Cela reste une moyenne », tempérait Dominique Arrouays lors du 3e colloque de la Journée mondiale des sols organisé le 5 décembre, à Paris, par l'Afes (Association française pour l'étude des sols), dont il est également président. « Sachant qu'il y a des zones saturées en carbone, et d'autres qui ont un potentiel de séquestration bien plus grand. » En France, le stock moyen de carbone organique dans les sols est de 74 t/ha (7,4 kg/m2) selon le Commissariat général au développement durable (ministère de l'Ecologie), mais varie entre les vignobles (35 t/ha), les vergers et grandes plaines cultivées (environ 50-60 t/ha), les prairies et forêts (80-90 t/ha) et les sols de montagne (plus de 130 t/ha). Certains changements d'usage ou de pratiques agricoles favorisent le stockage, comme la conversion des cultures en prairies ou en forêts. Qui dit prairies, dit pourtant élevage... émetteur de gaz à effet de serre. « Si on fait disparaître l'élevage, on fait disparaître les prairies qui stockent du carbone pendant cinquante ans », retourne Stéphane Le Foll, qui a fait plutôt le choix de promouvoir le programme Beef carbon, lequel vise une baisse des émissions du secteur de la viande bovine de 15 % sur dix ans en France et dans trois autres pays européens.
Quelle suite pour 2016 ?
« Il ne faut pas que le 4 pour 1000 reste un slogan, il faut donner une assise solide à une volonté politique », enjoint Claire Chenu, enseignante, chercheur à AgroParisTech et qui était l'ambassadrice spéciale pour l'Année internationale des sols l'année dernière. Une première réunion de l'ensemble des membres du « 4 pour 1000 » aura lieu au 1er semestre. Elle permettra de définir des règles de gouvernance et de clarifier les principes communs à l'ensemble des projets portés par l'initiative. « L'objectif, selon Stéphane Le Foll, est de construire un dispositif de gouvernance très inclusive, multipartenaire (gouvernements, organisations internationales, instituts de recherche, investisseurs, ONG) et d'arriver à créer un comité international de pilotage, une plate-forme opérationnelle, pour fixer des plans d'action, accueillir des projets concrets d'accroissement de la matière organique des sols et valoriser les résultats du programme international de recherche et de coopération scientifique. Des outils, des pratiques, il y en a dans le monde, mais il manquait une dynamique. »
Sera-t-elle financée ?
Avancer sur les aspects financiers sera également un des enjeux de l'année. Martial Bernoux, de la FAO, croit que « ce sera plutôt le volet recherche qui sera financé, avec les pays signataires qui auront accès aux données ». Jean-François Soussana, directeur scientifique de l'Inra et membre du Giec, imagine diverses sources de fonctionnement : un abondement au Fonds vert pour le climat, un soutien de la part de la Banque mondiale, du Fonds international pour l'environnement...Côté français, le secrétaire d'Etat à l'Enseignement supérieur et à la Recherche, Thierry Mandon, s'est engagé, le 27 novembre, à soutenir financièrement la recherche française pour la mise en oeuvre effective du dispositif.
Est-ce atteignable ?
« Ce n'est globalement pas facile à atteindre, en France comme dans le monde, est bien consciente Claire Chenu. Un certain nombre de sols sont déjà à leur optimum. » Et même du côté des sols pauvres en carbone organique, « il n'est pas évident que les sols de vignobles soient les plus à même de stocker d'ailleurs, car ce sont des sols superficiels et caillouteux ». Du côté du conseil scientifique du programme Gessol, si augmenter annuellement de 4 pour 1000 les stocks de carbone de tous les sols à l'échelle mondiale lui apparaît hors de portée, il confirme l'intérêt d'une politique visant à préserver les stocks de carbone des sols actuels et les améliorer. « Il s'agit là d'un véritable défi, qui impliquera nécessairement des changements importants de pratique », martèle-t-il.
Quelles déclinaisons concrètes ?
« Il n'y a aucun objectif contraignant, ajoute Jean-François Soussana, mais je pense qu'il faudrait des grands principes, afin de respecter une contribution à la sécurité alimentaire, au changement climatique, aux paramètres sociaux. » Des pratiques agricoles permettant une augmentation annuelle de l'ordre de 4 pour 1000 des stocks de carbone dans les sols ont été identifiées (lire infographie et encadré) et, si des recherches sont encore nécessaires pour les adapter à différents contextes climatiques, pédologiques et socio-économiques, elles peuvent être développées sur la plupart des sols cultivés. L'utilisation d'engrais, organiques ou minéraux, ne serait pas contre-indiquée si le surcroît de biomasse retourne effectivement au sol. Mais ailleurs, dans le monde, il faudra surtout veiller à restaurer les sols du sud très dégradés pour éviter la désertification et à ne pas déstocker dans le grand Nord. En clair, il n'y a pas une méthode qui vaudra pour l'ensemble de la planète.
Est-ce un programme efficace sur la durée ?
« Si certaines pratiques permettent une augmentation relative des stocks de l'ordre de 4 pour 1000 par an, celle-ci reste limitée dans le temps, car les sols atteignent un nouvel équilibre après quelques décennies », souligne le conseil scientifique du programme de recherche Gessol. « L'ordre de grandeur de la durabilité du programme est de vingt à cinquante ans, tente de préciser de son côté Claire Chenu. La restauration est lente, elle prend des dizaines d'années, elle est plafonnée et réversible. Par exemple, lorsqu'on retourne une prairie, le déstockage est rapide et important. Même si dans des dizaines d'années, on n'atténue plus le changement climatique, on aura restauré la fertilité des sols. » « Ce n'est pas la solution miracle, c'est une solution temporaire d'atténuation », confirme Dominique Arrouays. Mais « cela permet de retarder le processus », souligne Jérôme Balesdent. En attendant de trouver d'autres solutions : travailler sur le protoxyde d'azote, le méthane, avoir un raisonnement global sur l'alimentation...
Comment suivre l'évolution du carbone des sols ?
« C'est un vrai problème car il y a une forte variabilité spatiale et les évolutions sont lentes, fait savoir Claire Chenu. Je pense qu'il sera plus simple, et moins coûteux de suivre les pratiques, les moyens, de recourir à des modèles, que de suivre les teneurs réelles en carbone organique. »
Renaud Fourreaux
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